QUE CHERCHEZ-VOUS?
13 févr. 2025
Latizann, un patrimoine culturel mauricien

Faire bouillir quelques feuilles d’ayapana pour la digestion, de baume du Pérou contre la toux ou encore de citronnelle contre la grippe. Ces remèdes à base de plantes sont un héritage ancestral transmis de génération en génération et fait partie intégrante de la culture mauricienne.

 

Dans le monde entier, les plantes sont à la base de médecines traditionnelles depuis des millénaires et continuent encore aujourd’hui de procurer de nouveaux remèdes. À l’île Maurice aussi, la phytothérapie est très présente, et les Mauriciens utilisent depuis longtemps les plantes médicinales pour traiter divers maux. Ces connaissances ancestrales sont le fruit d’apports de différents groupes de migrants qui se sont combinées (voir encadré). Il existe aussi des connaissances et pratiques propres à l’île, un savoir mauricien né de la rencontre de ces héritages culturels et qui se sont développés dans un environnement naturel spécifique de notre île.

Troubles digestifs, problèmes de peau, douleurs articulaires, il existe des plantes et des remèdes pour tous les maux. Si ces recettes traditionnelles disparaissent peu à peu, ce ne sont pas pour autant des « recettes de grand-mères » figées dans le passé . Au contraire, certains Mauriciens renouent avec les remèdes naturels pour éviter l’utilisation de médicaments chimiques. C’est le cas de Nathalie Baissac Daruty, fondatrice de Feuilles et Fleurs, artisane tisanière et phytothérapeute. Cette Mauricienne qui a grandi à l’île sœur a développé avec passion depuis 2019 son jardin de plantes médicinales au milieu des champs de cannes de Schoenfeld (voir encadré page 57).

Latizann, bien plus qu’un remède naturel

Le terme créole latizann désigne à la fois une préparation à base de feuilles, de fleurs, de bois, d’écorces ou de graines, que celle-ci soit administrée sous forme de bains, de cataplasmes, d’infusions, de décoctions, d’inhalations ou encore en fumée. Des gestes précis accompagnent ces traitements traditionnels . Plus que de simples recettes à base de plantes, celles-ci sont préparées et consommées de façon ritualisée. Par exemple, la façon de cueillir la plante, l’heure ou le nombre de feuilles sont des critères importants. Pour cueillir une plante après 18 heures il faudra la réveiller en la secouant, en lui donnant du riz, de l’argent ou encore en lui parlant. Parfois lorsqu’on coupe la plante il faut demander la permission par une prière à une divinité ou à la plante elle-même. Ainsi, selon cette conception ce n’est pas la plante qui guérit mais l’esprit qui l’investit, l’efficacité de la plante est liée à ces rituels.

Les herboristes mauriciens spécialistes ou généralistes

On retrouve à Maurice l’existence d’herboristes traditionnels spécialisés, considérés comme experts dans ce domaine, qui cultivent des plantes médicinales dans leur jardin et vont chercher dans les forêts des écorces ou des bois. Ces herboristes sont souvent  considérés comme étant investis d’un « don » de guérison qui va au-delà de la simple connaissance des plantes médicinales. Ils sont connus de leur entourage qui leur fait confiance pour prodiguer des soins quand c’est nécessaire. Cependant ils sont de plus en plus rares, car ces connaissances orales sont de moins en moins transmises, la médecine moderne occidentale est plus commune et l’accès aux plantes et aux forêts devient plus compliqué.. 

Mais au-delà des spécialistes, il existe une connaissance généralisée des plantes médicinales de base  utilisées pour soigner les maux les plus communs et qui se retrouvent dans les jardins de nombreux Mauriciens.

 

Pluralisme médical mauricien

La société mauricienne, en tant que société multiculturelle connaît également un pluralisme médical. Chaque groupe de migrants est arrivé avec son propre système de santé, ses croyances et ses pratiques et a été mis en contact avec d’autres cultures. Au fil du temps ces différents systèmes de santé se sont rencontrés et se sont influencés  pour créer une « médecine » mauricienne. 

Les différents groupes ethniques venus peupler l’île ont naturellement utilisé des plantes similaires à celles qu’ils connaissaient dans leur pays d’origine. Par exemple, lorsque les populations malgaches arrivent dans l’île au 18ème siècle, ils retrouvent une flore voisine de celle de leur île d’origine. Ainsi, ils ont pu identifier et utiliser ces plantes dans leur préparation de tisanes. On retrouve d’ailleurs des témoignages de ces apports malgaches au niveau des noms de certaines plantes dans le créole mauricien, tel que le pied lafous, la liane ling, les sonz, ayapana, ou encore le vavang. L’influence malgache se retrouve aussi dans le cas de certaines maladies, comme la
« tambave », pathologie intestinale des nourrissons et des jeunes enfants qui porte un nom dérivant du malgache « tambavy ». 

Outre les influences malgaches, on retrouve également  une diversité d’héritages issus tantôt des campagnes françaises héritées du 18e siècle, tantôt d’apports indiens et de la médecine ayurvédique, comme le tulsi, le neem, ou le moringa (bred mouroum). Les traditions, usages et connaissances des uns et des autres vont se rencontrer, s’échanger et s’adapter dans le contexte mauricien.

 

Feuilles et Fleurs, un jardin aux milles vertus 

Dans le jardin de Feuilles et Fleurs, des petites allées de graviers bordées de plus d’une centaine de plantes aux vertus médicinales se dessinent. Entre les senteurs de citronnelle, ayapana, moringa, romarin, bacopa ou encore de basilic, on trouve aussi des fleurs comestibles aux couleurs vives, elles aussi aux vertus curatives, que Nathalie prépare en salades pour les visiteurs.  

Dans son petit atelier, Nathalie travaille à la fabrication et la vente de ses produits. De grands bocaux de verre sont alignés sur les étagères remplis de plantes séchées en tout genre : romarin, curcuma, thym, pink pepper, vétiver, … chaque plante renferme ses vertus et saveurs. Nathalie en parle avec passion : le bacopa a des actions incroyables sur le cerveau, la sauge est formidable pour les femmes ménopausées, elle aide contre les bouffées de chaleur, l’ayapana est d’une grande aide pour tout ce qui est lié au système digestif.  

Si les tisanes restent le produit phare depuis ses débuts, Feuilles et Fleurs propose aujourd’hui d’autres produits tels que des sels aromatisés, boules de massage, fagots à brûler, épices en poudre, gélules, élixirs, shampooings secs, ou encore des gourmandises comme l’achard de roselles.  « Un des plus grands challenges est qu’il faut sans cesse se réinventer,et travailler sur de nouveaux projets » selon Nathalie.

La transmission

Labélisée Made in Moris, cette petite entreprise a  à cœur la transmission. Cette transmission elle se fait auprès des touristes comme des Mauriciens, par des visites guidées ou en tour autonomes dans le jardin. Les visiteurs ont l’occasion de découvrir les senteurs, de goûter aux tisanes, mais aussi de cueillir les fruits de saison.  

Au fond du jardin, un tout nouveau kiosk pour des évènements et ateliers, tel que des classes d’introduction à la phytothérapie ou encore des visites d’écoles durant lesquelles les enfants peuvent semer, planter, bouturer, etc. Nathalie, elle-même,  continue d’en apprendre tous les jours, en discutant avec des clients ou avec ses employés, en lisant  ou encore travers des rencontres lors de voyages à La Réunion, elle découvre des nouvelles plantes, techniques, échange des bonnes pratiques, etc.

Informations extraites de la thèse de doctorat en anthropologie sociale et ethnologie de Maya de Salle « Le profane et le sacré dans les tradipratiques à l’île Maurice », Université de la Réunion, 2011.