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23 juin 2022
Comment manger mauricien et healthy ?

Objets de délit : les faratas, les minn frits, les bajas, les brianis, les hakiens… Car il faut bien avouer que même s’ils sont intimement liés à nos traditions, même si nos palais en redemandent : tous ces plats sont en général très gras et peuvent causer de sérieux dégâts dans notre corps. Le taux particulièrement élevé de diabète, cholestérol, maladies cardio-vasculaires à Maurice en témoigne.

Alors, il est primordial  aujourd’hui de trouver un compromis. De trouver des ponts entre les qualités gustatives et les qualités nutritionnelles. Parce que, quoi qu’on fasse, notre santé, notre état physique, notre bien-être, notre vitalité, notre mental… tout est lié à notre alimentation. 

LE POINT DE VUE DE KRISTEL FROGER

Mauricienne installée en Normandie, Kristel Froger est consultante et créatrice culinaire. Sur son blog L’atelier de Kristel, elle fait la part belle aux plats emblématiques de Maurice.

« On a de la chance à Maurice d’avoir une cuisine colorée et épicée. On mange des légumes, des grains secs, des féculents, des protéines en tout genre. C’est une cuisine qui rime avec générosité. Mais ce qu’il faudrait revoir, c’est peut-être cette tendance à manger de trop grandes portions. A grignoter entre les repas. A manger dehors trop souvent. A privilégier au quotidien une cuisine grasse. » 

LES TIPS DE KRISTEL

Faire des fritures en deux temps. Moi, je saisis mes gâteaux piments et autres beignets une première fois dans de l’huile chaude pour le côté croustillant et dès que ça prend de la couleur, je continue la cuisson au four. Cette technique permet d’enlever l’excédent d’huile. Pour ce qui est des samoussas,  je les badigeonne d’huile et je les mets directement au four.

Faire des faratas avec de la farine complète. C’est meilleur pour la santé, et ça cale plus. Et même si, comme tout le monde, j’adore le côté feuilleté des faratas, il faut quand même être raisonnable. Ce n’est pas possible de mettre une couche d’huile à chaque pliage de la pâte. En plus, ça prend du temps. Pour ma part, je mets un peu de levure dans la pâte pour l’alléger. La méthode traditionnelle c’est bien, mais occasionnellement !

Autre astuce : d’habitude, pour faire revenir du poulet, on met de l’huile à chauffer, de l’ail, du gingembre, de l’oignon puis le poulet. Mais, on peut aussi mettre le poulet en premier, laisser dégager sa graisse naturelle qui servira comme base de matière grasse à la place de l’huile. Après on ajoute le reste.

En fait, l’huile en elle-même n’est pas une mauvaise chose. Simplement, il ne faut pas en abuser. On peut aussi opter pour une huile de qualité, pressée à froid et première pression. Ces huiles-là contiennent des oligo-éléments, des antioxydants. 

Et pour des gadjacks sains, préparez des verrines de salad ourit ou de thon. C’est mauricien, c’est sain et c’est joli. Essayez différents satinis sur des apalams. Pas des apalams frits mais des apalams qu’on fait gonfler à la poêle sans huile. Côté dips, optez pour la fraîcheur avec du raïta. Mixez du yaourt, du cotomili, de la menthe, de l’ail, du gingembre et du piment. On peut aussi troquer les chips pour des craquers et des torsades au fromage maison : YouTube regorge de recettes !

LE POINT DE VUE DE TEENUSHA SOOBRAH

Ce qui anime Teenusha Soobrah, nutritionniste et diététicienne, c’est le bien manger. Celui qui rime à la fois avec plaisir, bien-être et santé. Son métier consiste à aider les gens à faire des choix éclairés concernant leur alimentation.

« On a tout pour bien manger à Maurice. Ce qui fait toute la différence, c’est la quantité et la fréquence à laquelle on consomme certains aliments. Manger du dholl puri, du briani, du mine frit, ce n’est pas un problème. Sauf si c’est tous les jours. »

LES TIPS DE TEENUSHA 

Pour ce qui est des minn frit, riz frit… premier réflexe, privilégiez le fait maison. Diminuez la quantité de minn, mettez plus de légumes, quitte à ajouter des brèdes au-dessus. Et puisque la sauce soja contient beaucoup de sel, n’allez pas en rajouter au moment de la cuisson des oeufs, des légumes, du poulet. Parenthèse : un minn bwi saumon, c’est mieux d’un point de vue santé.

Vous adorez le briani ? Veillez à ce que votre assiette fasse moitié briani et moitié salade. D’ailleurs cela s’applique à tous les plats. Il ne suffit pas de deux feuilles de laitues pour faire une salade.

Les gâteaux piments en eux-mêmes ne sont pas mauvais, au contraire, puisqu’ils sont à base de dholl, donc de protéines végétales et de glucides riches en fibres. Le piment est, lui, anti inflammatoire. Ce qui pose problème, c’est la friture dans un grand bain d’huile. A la maison, préférez une friture légère dans l’huile d’olive, ou dans un air Fryer ou sinon au four.

Côté beignets, pensez à utiliser de l’arouille violette ou du fruit à pain. Ça reste de la friture, mais c’est mieux nutritionnellement.

Le halim est gras ? Il suffit de  réajuster. De remplacer la viande grasse par de la viande maigre ou du poulet. Après vous pouvez varier les céréales (blé concassé, riz rouge, oat meal), ajouter du chouchou, des carottes et des épices. 

Pomme de terre, carotte, betterave bouillie : c’est une salade typiquement mauricienne. Mais évitez de la manger avec du pain. La pomme de terre est un féculent, donc pas la peine d’y ajouter du pain, un autre féculent. Si vous pensez que ça ne va pas vous caler, ajoutez du chouchou, pâtisson, chou-fleur. Et une source de protéines. Exemple : deux œufs par personne dans la salade. 

Mettez des épices partout. Ils réduisent l’inflammation, responsable de plusieurs maladies chroniques. De plus, elles apportent du goût, ce qui fait qu’on peut réduire le sel. 

Diminuez les féculents raffinés, les pâtes blanches, les farines blanches, le riz blanc. Intégrez graduellement  des aliments complets puisqu’ils sont plus riches en vitamines, en minéraux et surtout en fibres. Et ils procurent une satiété plus rapide. 

Choisissez des ustensiles qui nécessitent peu de matières grasses à la cuisson. Privilégiez le cuit-vapeur, le four, la friteuse à air ou la cuisson au wok.

LE POINT DE VUE DU CHEF SANTANA DHARMA DAS

C’est le chef fort sympathique de l’émission « Mangeons Veg » que l’on peut voir de temps en temps sur la MBC. Santana Dharma Das prône une cuisine végétarienne et créative. Très sensible à la cuisine traditionnelle de son enfance, aux couleurs, parfums et saveurs.

« Le problème, c’est que les gens ont tendance à se secouer uniquement quand ils sont au pied du mur. Ils attendent que le médecin leur dise qu’ils ont un problème de santé grave pour commencer à manger sainement et à faire du sport. Pourtant, ce n’est pas compliqué que de bien manger. Enn bouyon bred, pwasson frir ek satini coco, c’est mauricien et c’est bon. Mais c’est devenu plus facile de manger dans la rue et de consommer à outrance ce qui est bon « zis pou lalang. »

LES TIPS DU CHEF SANTANA 

Faites vos pâtes de pizza avec du fruit à pain. Faites bouillir du fruit à pain, ajoutez du sel, du poivre, de l’origan, de l’huile d’olive. Étalez la pâte dans un moule et mettez au four. Et pour la garniture, il suffit d’une sauce tomate, de l’ananas, du poivron vert, de la mozzarella. Et vous remettez au four.

Mangez du piment, c’est bon pour la santé, même si comme toute chose, c’est à consommer avec modération. Variez aussi les satinis : satini pomme d’amour, satini  pomme de terre grillé, satini pipangaille, satini coco. Assurez-vous qu’il y a toujours un achard ou un koutia chez vous. Ça fait partie de nos traditions.

Les suran, cari banane, cari zak, manioc bouilli… font aussi partie de notre répertoire mauricien à transmettre à nos enfants.

Préférez le chapati au ti puri trop souvent gorgé d’huile. Il faut 2 tasses de farine, une demi tasse d’eau, une pincée de sel. Puis, il faut pétrir, rouler la pâte en forme de baguette, la couper en petits morceaux et re-rouler. Reste plus qu’à poser sur le tawa, sans huile et de retourner. Et vous pouvez aussi, avec des pincettes, prendre les chapatis et les placer dans la flamme pour qu’ils gonflent.

LE POINT DE VUE DU CHEF NIZAM PEEROO

Figure incontournable de la gastronomie mauricienne, le chef Nizam Peeroo du Labourdonnais Waterfront Hotel est connu pour sa cuisine élégante mais aussi pour son attachement à notre cuisine traditionnelle et nos produits locaux.

« Avant, on n’avait pas de céréales. On mangeait 3 faratas avec un gros morceau de beurre. Après ça, on allait travailler dans les champs et on pédalait des kilomètres avant d’y arriver. Dans le katora de midi, il y avait le gros riz ration, un toufe bred, un cari dal… Mais à l’époque il n’y avait pas cette prévalence de diabète, cholestérol, etc. Parce qu’on dépensait les calories, on n’avait pas autant de viande, on ne mangeait pas de desserts, on achetait de l’huile par quart. D’ailleurs, même après le travail, beaucoup avaient un deuxième boulot, comme jardinier, par exemple.

Aujourd’hui, on mange beaucoup plus protéiné. On achète des litres d’huile tous les mois. On consomme de la nourriture industrielle. On achète des boissons gazeuses tous les jours. On mange des desserts et qui dit desserts dit sucre. On utilise trop de pesticides et d'herbicides. On va à la boutique en voiture, on ne marche pas… C’est tout ça qui crée des problèmes de santé. »

LES TIPS DU CHEF NIZAM

Diminuez l’huile dans vos cuissons. Surtout quand il s’agit des viandes qui ont déjà des matières grasses. On peut très bien cuisiner le poulet sans la peau et enlever les parties grasses dans les viandes. 

Si vous mangez un corn frir et ensuite une grosse portion de minn bwi… C’est sûr que vous aurez un problème. Mais si vous mangez votre corn avec une tranche de citron et des légumes sautés à l’ail, déjà, ça change la donne.

On dit qu’on n’a pas le temps de cuisiner. C’est vrai. Mais la cuisine c’est une question d’anticipation et d’organisation. Si vous allez cuire un grain sec, pensez à le mettre à tremper la veille. Vous pouvez même le précuire et le fricasser le lendemain. Aujourd’hui on peut acheter des jacques déjà pré-découpées, des brèdes triés… il faut saisir ces facilités. 

Et il y a de tout petits réflexes à adopter. Comme assaisonner ses salades avec du jus de citron. Comme utiliser le papier absorbant pour enlever l’excédent d’huile. 

Et je dirai aussi qu’il faut qu’on repense notre agriculture. Qu’on doit revaloriser nos produits oubliés : le papri, le bokla, le pois carré, les brède gondole, le petit margoze mauricien, la pipangaille… Ce sont d’excellents produits qui font partie de notre patrimoine mauricien. 

 

Credit photo : L'Atelier de Kristel