Le jeûne ne date pas d’hier. Cette pratique millénaire s’insère à la fois dans une dimension spirituelle et une perspective d’hygiène de vie, voire médicale. Depuis un certain temps, le jeûne intermittent occupe le devant de la scène, se présentant comme un antidote à la sur-bouffe et un atout bien-être. Le Dr Marie-Christine Piat apporte un éclairage sur le sujet et sur les croyances qu’il véhicule.
Pourquoi jeûner ?
« Parce que nous mangeons beaucoup trop », répond d’emblée le Dr Marie-Christine Piat. « Aujourd’hui, on meurt plus de malbouffe et de sur-bouffe que de dénutrition. Il est temps de se ressaisir et de revoir la quantité et la qualité de ce que nous mangeons. »
Si jeûner c’est se priver de nourriture, c’est aussi amener son corps à se nourrir autrement. Et le Dr Piat d’expliquer : « Le corps est tellement bien fait qu’en période de jeûne il va se nourrir de ce qu’il dispose à l’intérieur de lui. Il va littéralement se manger lui-même, c’est ce qu’on appelle l’autophagie. Privé de sucres externes, l’organisme, qui carbure au glucose pour fonctionner, va puiser dans ses réserves pour fabriquer de l’énergie : d’abord le sucre, puis la graisse et enfin les protéines si le jeûne se prolonge. Il va également cibler en priorité les cellules abîmées, fragilisées, vieilles, malades ou inflammatoires pour les détruire et réutiliser certains composants encore sains. L’organisme sait faire de l’“up-cycling” ! Notre foie possède en moyenne trois jours de réserve de glucose, au-delà le corps entre dans un nouvel état métabolique : il va puiser dans ses réserves de graisses, qu’il transformera en « corps cétoniques » pour fournir à l’ensemble des tissus et organes, notamment le cerveau, l’énergie nécessaire à son fonctionnement. Il se nourrit donc de l’intérieur : c’est ce qu’on appelle le « switch métabolique », en même temps qu’il se nettoie. »
Aussi, le jeûne favorise la détoxification du corps et met au repos le système digestif, ce qui contribue à calmer des maladies auto-immunes, chroniques et inflammatoires.
Ces croyances fausses ou non…
« Je ne tiendrai jamais si je saute un repas ! »
« En fait, vous aurez une sensation de faim, peut-être des nausées, voire une hypoglycémie, des vertiges, des brûlures gastriques, mais ça ne durera pas. Le corps se réajuste en permanence et en moins de 15 minutes le foie va libérer du glucose pour fournir l’énergie nécessaire. En attendant, boire de l’eau aide à couper la sensation de faim. »
« Je suis mince et si je jeûne, je vais mincir encore. »
« C’est possible mais si vous jeûnez de manière intermittente, vous vous sentirez plus en forme. C’est certain que vous mincirez davantage dans le cas d’un jeûne prolongé. »
« Si je ne mange pas à la bonne heure, j’aurai une gastrite. »
« Faux ! C’est parce qu’on mange mal qu’on a une gastrite. L’estomac est conditionné par nos habitudes pour fabriquer de l’acide chlorhydrique en vue de la digestion. S’il n’en reçoit pas d’aliment, cet acide peut provoquer des brûlures. Mais le corps finit par assimiler la période de jeûne et se reprogramme en fonction de nos habitudes ! »
« Si je jeûne régulièrement, je ne pourrai pas faire du sport. »
« On peut faire son jogging, du vélo le matin ou nager, en ayant pris un seul repas par jour. Mais il est évident que le jeûne n’est pas conseillé pour un grand sportif. Ou alors, il faudrait qu’il soit coaché par un professionnel de la santé qui s’y connaît. »
Ce qu’en pensent les praticiens ?
Dr Marie-Christine Piat, médecin généraliste :
« Personnellement, je pratique le jeûne intermittent. J’en avais tellement entendu parler que j’ai voulu essayer. J’adorais le sucre... Je mangeais des gâteaux bien crémeux et deux heures plus tard, j’étais patraque; ma digestion plombait toute mon énergie. Jai décidé de sauter le petit-déjeuner. C’était compliqué, car j’avais faim, des vertiges, des brûlures d’estomac. Mais très vite, mon corps s’est adapté. Terminés tous ces symptômes d’hypoglycémie !
Je ne me suis jamais sentie aussi bien pendant mes journées de travail ; et maintenant depuis trois ans je ne déjeune même plus, c’est journée continue et en forme ! »
Céline Le Breton, diététicienne-nutritionniste :
« Je ne suis ni pour ni contre. Cela m’arrive de recommander le jeûne intermittent, mais tout en prenant en considération la structure et l’équilibre alimentaire. Je suis cependant plus prudente à recommander des jeûnes plus prolongés. Le jeûne est une pratique à considérer au cas par cas, car elle ne bénéficie pas à tous. Par exemple, il présente des risques importants chez les femmes enceintes et allaitantes, les enfants et adolescents, les personnes âgées et certains sportifs.
Si l’on décide de jeûner, il est important d’avoir un avis médical ou de se faire accompagner par un diététicien-nutritionniste.
Pour profiter des bienfaits potentiels du jeûne, il est impératif de bien considérer la quantité et la qualité nutritionnelle des aliments consommés. Manger des aliments malsains et/ou manger trop ou pas assez lors de la période d’alimentation n’aura aucun bienfait et s’avérera au contraire dangereux ! Aussi, pour subvenir aux besoins nutritionnels de l’organisme, il est important de privilégier la consommation :
- Des glucides complexes comme les céréales complètes ;
- Des fruits et légumes riches en vitamines, minéraux, fibres ;
- Des légumineuses pour leurs apports en fibres, glucides complexes, proteins végétales ;
Des bonnes graisses riches en acides gras essentiels telles que les huiles végétales, les poissons gras, les noix. Il faut également avoir un apport suffisant en protéines animales non transformées et en protéines végétales.
Je suis d’avis qu’il serait plus efficace de pratiquer le jeune intermittent en fin de journée, c’est-à-dire en conservant le petit-déjeuner plutôt que le dîner. Car c’est le moment le plus adapté pour que l’organisme absorbe, digère et intègre les nutriments et aussi pour optimiser l’énergie et avoir un meilleur rassasiement. »
Dr Sandra Stallaert, médecin, homéopathe, nutritionniste
« Convaincue des bienfaits du jeûne sur le corps, mais aussi sur l’âme et l’esprit, et après avoir accompagné médicalement des personnes dans un programme de jeûne initié par une clinique, m’est venue l’idée d’un programme de jeûne sur 9 jours : 3 jours de préparation, 3 jours de jeûne et 3 jours de reprise alimentaire progressive. Il y a ceux qui font le jeûne pour la première fois et ceux qui le font à nouveau, après avoir bénéficié de ses bienfaits. Les témoignages sont parlants : les participants n’en reviennent pas de ne pas avoir faim, ils disent se sentir légers, mieux dans leur corps et plus en confiance et avoir réappris à manger. D’autres confient ne plus souffrir de douleurs articulaires.
Aussi, j’ai souhaité écrire un livre pour rendre le programme accessible à un plus grand nombre (NdlR : « 3 jours de jeûne, c’est parti », aux éditions Jouvence), et par la même occasion démystifier la pratique du jeûne. Certes, le jeûne n’est pas recommandé à tout le monde, j’adapte le programme en fonction des besoins des divers participants. En aucun cas, le jeûne ne doit être pratiqué comme une contrainte et engendrer des frustrations. Il est une expérience à vivre, car manger doit rester un plaisir… »
Pour la petite histoire
En 2016, le scientifique japonais Yushinori Ohsumi a reçu le prix Nobel de Médecine pour ses travaux sur l’autophagie. Intrinsèquement liée au jeûne, l’autophagie cellulaire pourrait prévenir un certain nombre de maladies, en permettant le renouvellement des cellules et le maintien des principales fonctions cellulaires.